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Avis 132 Questions éthiques soulevées par la situation des personnes ayant des variations du développement sexuel
Le CCNE a conduit une réflexion sur la situation des personnes concernées par des variations du développement sexuel (qualificatif retenu par le CCNE, plutôt que celui de « personnes intersexes »). Pour le Haut-commissariat aux droits de l'homme des Nations-Unies, « les personnes intersexes sont nées avec des caractères sexuels (génitaux, gonadiques ou chromosomiques) qui ne correspondent pas aux définitions binaires types des corps masculins ou féminins ».
Le présent avis, répondant à une saisine du Ministère des solidarités et de la santé, a principalement centré son analyse sur l’accueil de l’enfant, l’accompagnement des parents, l’évolution des pratiques médicales et les modalités d’un consensus entre les personnes concernées et les médecins.
Des manifestations de ces variations hétérogènes et complexes : les effectifs correspondants varient fortement selon les points de vue : très importants pour les associations de personnes intersexes (1,7 % à 2 %, voire plus, pour certaines d’entre elles), mais considérés par les médecins comme relevant des catégories des « maladies rares », soit 0,02% des naissances. Par ailleurs, la majorité des cas de variations du développement sexuel ne pose pas de problème d’assignation à un sexe et ne met pas en jeu le pronostic vital.
La souffrance et la colère de personnes concernées : les auditions ont mis en lumière la très grande souffrance et la colère de personnes ayant fait l’objet d’interventions précoces. Celles-ci ont insisté sur les traumatismes physiques, psychologiques, sexuels et sociaux ressentis dans leur enfance et leur adolescence comme à l’âge adulte, sur leur conflit avec nombre de médecins spécialistes.
Le malaise des professionnels : les auditions ont également mis en lumière le malaise des médecins, chirurgiens et endocrinologues, face à leur mise en cause par les associations de personnes intersexes, ainsi que leurs interrogations sur leurs pratiques. À cet égard, les médecins insistent sur le fait qu’au fil des décennies, les interventions chirurgicales ou hormonales précoces ont diminué.
Le manque d’évaluation des interventions passées et le déficit de données rendent délicate la réflexion éthique confrontée aux réalités suivantes : l’irréversibilité des interventions sur des jeunes enfants en l’absence de leur consentement; une réalité difficile à vivre pour les parents et les enfants; les divergences fondamentales d’approche de la question. Néanmoins, le CCNE considère qu’une réflexion éthique devrait permettre de favoriser le dialogue entre toutes les parties.
Des questionnements éthiques complexes : l’éthique est, dans ce type de configuration, interrogée par le doute, l’incertitude et l’embarras, notamment lorsqu’il y a des interrogations sur la détermination du sexe à donner, une question qui n’est pas seulement réductible aux données chromosomiques, génétiques, endocriniennes et morphologiques. L’éthique est également interrogée par la conduite à tenir au sein des équipes médicales, par les tensions qui peuvent naître entre les avis médicaux et ceux des parents, par la place du consentement et la compréhension par les parents de la portée du consentement, par la portée des interventions (ou de la non intervention) sur l’évolution de l’enfant et sur ce que pourra être son choix.
Pour le CCNE, les tensions sont susceptibles d’être atténuées par une réflexion en aval de cet avis dans la perspective de dépasser les dissensus actuels, tout en renforçant l’accompagnement, l’information et en développant la formation et la recherche dans ce domaine complexe.
Recommandations
1. La nécessité de centraliser les consultations et les interventions dans une structure unique s’impose, pour faciliter le rapprochement des points de vue et pour concentrer l’expertise sur un nombre limité de personnes. Pour le CCNE, il est fondamental que les enfants et leurs parents soient pris en charge dans l’un des quatre sites qui composent le Centre de référence des maladies rares (CRMR) relatif au développement génital, par une équipe multidisciplinaire spécialisée et expérimentée.
2. La formation et le perfectionnement des professionnels, y compris dans leur dimension psychologique, doivent être améliorés, notamment pour ceux exerçant dans les services d’obstétrique et de néonatologie. Le CCNE suggère que le Ministère de la santé, la Haute Autorité de santé et des organisations professionnelles compétentes élaborent des bonnes pratiques dans ce domaine.
3. Les actes médicaux et chirurgicaux, qu’ils soient précoces ou tardifs, doivent répondre à une nécessité médicale en présentant un bénéfice thérapeutique.
Dans les cas où un caractère particulier du phénotype nécessite un délai d’assignation à un sexe, il s’agit que soit respectée la possibilité, qu’à l’exception des cas répondant à une nécessité médicale, la personne concernée soit associée aux choix thérapeutiques qui lui sont proposés lorsque son degré de maturité le permet, dès lors qu’en raison de leur irréversibilité, ils mettent en jeu son intégrité physique.
Pour toutes les autres situations de variations de développement sexuel, pour lesquelles la réalisation d’un acte médical et/ou chirurgical est discutée, la décision devrait être prise après concertation et délibération au sein de l’équipe pluridisciplinaire du Centre de référence avec le consentement des parents et de la personne concernée, dès lors que celle-ci dispose d’un degré suffisant de maturité. La décision devrait être documentée, intégrée dans le dossier médical, signée de tous les intervenants et inscrite sur un registre placé sous la responsabilité du Ministère de la santé.
4. Une information claire et compréhensible sur la situation des personnes ayant des variations du développement sexuel se doit d’être dispensée. L’annonce donnée par le Centre de référence aux parents et aux personnes concernées doit prendre en compte toutes les possibilités de traitement et d’absence de traitement. Ils doivent bénéficier d’un délai de réflexion suffisamment long avant qu’une décision ne soit prise.
Plus généralement, une information doit être incluse dans le cursus scolaire (cours de biologie) et développée auprès de la population.
5. La nécessité de constituer des bases de données exhaustives et de soutenir une recherche internationale dans ce champ s’avère essentielle. La documentation complète de toutes les mesures de traitement comme des absences de traitement et de leurs conséquences éventuelles doit être assurée. Le CCNE recommande la création d’une base de données anonymes en France et en Europe à des fins de recherche, avec l’objectif de définir des directives thérapeutiques cliniques au niveau national et international.
6. L’accompagnement des enfants et des parents devrait être assuré au sein du Centre de référence de la naissance à l’âge adulte et l’accès à l’information, aux soins et aux conseils doit demeurer largement ouvert.
7. Pour favoriser un dialogue essentiel entre les professionnels de santé, les associations de personnes concernées et les parents, le CCNE propose de créer, avec le Centre de référence et les vingt centres de compétence (qui, en relation avec le Centre de référence, peuvent aussi assurer le suivi des personnes concernées au plus près de leur domicile), un Forum des pratiques et de leurs conséquences, associant les différentes parties, dans le but de trouver un dispositif leur permettant d'échanger, de dialoguer et d’entendre les différents points de vue.
Le CCNE propose aussi d’organiser régulièrement, à l’échelle nationale, des assises interdisciplinaires, conférences périodiques de consensus éthique, rassemblant toutes les parties – professionnelles, scientifiques, associations de personnes concernées – afin que soient créées les conditions de réflexions communes sur les pratiques.
Ces initiatives, ouvertes également à la société civile, devraient permettre de faire évoluer le regard que la société porte sur la différence.