Presse


Avis 131 Cadre éthique de l’expérimentation pédagogique en situation réelle


Depuis plusieurs années, la psychologie cognitive et les neurosciences de l’éducation produisent des résultats pouvant conduire à des recommandations pédagogiques. La confrontation de ces résultats avec d’autres positions, originaires de champs d’expertise différents, est à l’origine de débats. Cette situation inédite impose de tester tous ces résultats de la manière la moins arbitraire possible. Une telle solution rationnelle existe : il s’agit de l’expérimentation réalisée dans les conditions pédagogiques réelles. L’application de ces méthodes dans le milieu scolaire impose de disposer d’un cadre éthique que le CCNE dessine dans son nouvel Avis « Cadre éthique de l’expérimentation pédagogique en situation réelle » (Avis 131 rendu public le 7 novembre 2019). Le CCNE formule également plusieurs recommandations. 

 

La psychologie cognitive et les neurosciences de l’éducation produisent des résultats qui peuvent conduire à des recommandations précises sur des modalités d’enseignement de savoirs ou d’apprentissages. La confrontation de ces résultats avec d’autres positions, originaires de champs d’expertise différents, est à l’origine de débats, voire de franches oppositions. Cette situation est inédite et a conduit le CCNE à s’auto-saisir de cette question. 

Face à la multiplicité de ces travaux, à leurs interprétations parfois divergentes et à leurs potentielles applications dans le monde scolaire, le CCNE considère dans son nouvel avis 131   « urgent et indispensable de départager ces résultats de la manière la moins arbitraire possible, afin de garantir aux enfants scolarisés les meilleures décisions pédagogiques ». Une telle solution rationnelle existe : il s’agit de l’expérimentation réalisée en situation réelle. Celle-ci trouve son origine en médecine à travers la démarche des essais cliniques, et s’est développée ensuite dans d’autres disciplines, comme l’économie ou encore l’évaluation des politiques publiques. Dans le domaine de l’éducation, plusieurs travaux ont déjà confirmé la pertinence de telles interventions. Cette démarche permet de prendre en compte toute forme d’expérimentation, d’utiliser une méthodologie rigoureuse (fondée notamment sur la randomisation et la notion d’expérimentation contrôlée), voire de contrôler les biais éventuels.  Cette mesure in situ d’une pratique pédagogique se distingue des expérimentations de laboratoire qui sont conduites dans un contexte très différent de celui de la salle de classe. 

L’objectif du CCNE n’est pas de trancher sur la supériorité d’une méthode d’enseignement ou d’apprentissage par rapport à une autre, mais de proposer un cadre éthique général pour encadrer cette recherche qui lui apparaît indispensable. 

 

Concernant les élèves, des classes et leurs professeurs, plusieurs questions importantes se posent, parmi lesquelles : 

 

- Comment minimiser les risques inhérents à l’expérimentation ? 

- Comment ne pas interférer avec les pratiques en vigueur, délimiter le cadre strictement scientifique de la recherche en cours et garantir son indépendance par rapport aux choix pédagogiques et politiques effectués par ailleurs ?

- Comment aborder la question de l’accord éclairé d’individus mineurs ? 

- Comment s’assurer de l’équité sociale de l’expérimentation et de ses retombées ? Sur quels critères déterminer la notion d’efficacité pédagogique ? 

- Comment gérer le risque de la normalisation méthodologique ?

 

Plusieurs points, nés de la tension entre recherche d’une connaissance pédagogique la plus exacte possible, respect éthique de l’individu et principe d’indépendance scientifique, ont accompagné la réflexion du CCNE. Ils mènent à formuler plusieurs recommandations. Parmi celles-ci :

L’impératif éthique de « bienfaisance » impose de minimiser les risques auxquels seraient exposés les élèves. Ainsi, l’étude devrait être précédée par des travaux suggérant fortement l’efficacité de l’expérimentation envisagée. L’expérience conduite en conditions réelles devrait être la plus courte possible et porter sur un nombre d’élèves le plus faible possible, sauf si l’expérimentation le justifie. Il est suggéré également de mettre en place les outils les plus à même de collecter les éventuels effets indésirables des études conduites, et de recueillir l’accord éclairé des élèves mineurs, même si cet accord n’est pas légalement requis en France.  (L’accord des parents est, lui, obligatoire.)

 

L’indépendance des équipes de recherche (notamment par rapport à des pratiques ou politiques institutionnelles) est indispensable. Il leur appartient d’établir un rationnel solide de leurs études où seraient déterminés précisément les critères d’efficacité évalués : si des mesures de performance « instrumentale » (calcul, lecture…) de l’enfant sont essentielles, l’évaluation de l’esprit critique ou de la créativité, qui peut être moins simple à mesurer, l’est également. Les chercheurs devraient mettre à la disposition de tous, notamment du corps enseignant, la méthodologie et les résultats de leurs travaux, tant positifs que négatifs.

Le respect de la temporalité de ces recherches exige de ne pas confondre le temps de l’expérimentation avec celui d’éventuelles décisions de modifications des recommandations et des pratiques pédagogiques en cours.

Toute expérimentation pédagogique en situation réelle devrait être supervisée par une instance opérationnelle d’éthique.

 

L’expérimentation pédagogique ne saurait être confondue avec une démarche visant à la « médicalisation » de l’éducation ou conduire à une « normalisation » méthodologique. Parce qu’elle se nourrit de travaux scientifiques continus et d’expériences pédagogiques conduites sur le terrain, il apparaît souhaitable qu’elle s’installe durablement, amenant ainsi à une véritable « révolution culturelle » tant au niveau des scientifiques que des enseignants et de tous les acteurs de l’éducation. L’expérimentation en conditions réelles pourrait à terme constituer une branche propre des sciences de l’éducation.  

Document